Le smartphone, le four micro-ondes de la photographie ?
© Amaury Descours

Le smartphone est-il le plus mauvais appareil photo qu’on ait connu? La photographie mobile est-elle condamnée à prendre des photos basiques, aussi vite prises et partagées qu’un vulgaire plat cuisiné réchauffé aux micro-ondes ? Les limites de nos smartphones sont-ils l’explication à la banalité de ces milliards de photos qui circulent aujourd’hui ? Le photographe n’est-il pas plutôt le vrai responsable ?

Le smartphone, l’appareil photo le plus populaire au monde

Ce n’est une nouvelle pour personne, les smartphones sont dans toutes les poches : plus des trois quarts des téléphones vendus dans le monde sont des smartphones. Il se vend 100 fois plus de smartphones que d’appareils photo numériques de marque japonaise (1).

En France, un sondage API/IPSOS de 2014  montre également qu’en 5 ans les smartphones sont devenus plus nombreux que les appareils photo traditionnels. Et aussi banals qu’un four à micro-ondes dans nos cuisines.

Le smartphone, un clavier avec une touche photo

Quelles sont les applications les plus utilisées sur un smartphone ? Sur la trentaine d’applications en moyenne sur nos smartphones, une douzaine sont utilisées quotidiennement. Et seulement 3 ou 4 applications retiennent 80% de notre temps : FaceBook, YouTube, la messagerie instantanée WhatsApp et votre navigateur Web.

Quelles sont les applications qui partagent le plus de photos ? La messagerie instantanée orientée image SnapChat est depuis 2013 sur le podium, suivi de près par WhatsApp puis Facebook. Et Instagram est en très forte croissance.

Qu’est-ce que cela nous montre ? Un smartphone est d’abord utilisé comme un outil de communication du quotidien. Là où la génération du millénaire (les moins de 35 ans en 2016) était la génération SMS, la génération Z (les moins de 20 ans) ne privilégient plus le texte, mais l’image.

Mais maintenant que nous envoyons une photo aussi vite que l’on peut écrire “LOL”, quelle est vraiment la valeur des images prises avec son smartphone ?

Plus on pense photo, moins on pense smartphone

Faire une photo avec son smartphone relève pour beaucoup du “casual shooting”. Quand on interroge les français sur leur usage du smartphone, on retrouve en premier les photos prises :

  1. dans le cadre professionnel
  2. avec ses amis
  3. en promenade en ville ou au grand air
  4. lors de concert, rencontre sportive ou autre événement public

Inversement, les occasions où le smartphone est le moins privilégié comme appareil photo sont :

  1. les grands événements de la vie : mariage, baptême, naissance, anniversaire…
  2. en vacances ou en voyage
  3. en famille

Autrement dit, l’usage de son smartphone reste encore intimement lié à l’état d’esprit dans lequel on appréhende un événement donné. Plus l’événement sera perçu comme fort et personnel, plus on voudra le capturer avec le “meilleur” appareil photo possible.

La photo smartphone : presque un accident

Mais un smartphone est-il nécessairement un “mauvais” appareil photo ? Interrogeons d’abord notre démarche photographique avec un smartphone. Lors de ces occasions courantes de prise de vue avec son smartphone, nous ne sommes pas en chasse photographique active. La prise de photo n’est pas notre préoccupation première parce que le moment vécu est ressenti comme peu mémorable, à tort ou à raison. On sort sur le vif un smartphone de sa poche, pour le ranger aussitôt : l’intention photographique ne peut qu’être inexistante.

On fera très peu attention à se positionner correctement par rapport au sujet ou à la scène, ou à cadrer de manière réfléchie :

  • le sujet est-il bien en valeur dans son environnement, …?
  • n’y a-t-il pas un arrière-plan ou un premier plan qui nuira à la photo, … ?
  • est-ce que l’oeil sera incité à parcourir la photo, …?

On ne prêtera pas non plus une grande vigilance à l’attitude du sujet :

  • est-il souriant ou grimaçant ?
  • ne ferme-t-il pas les yeux ?
  • ne me tourne-t-il pas le dos, …?

ou aux conditions d’éclairage :

  • la lumière n’est-elle pas trop crue ?
  • la lumière vient-elle de la bonne direction ?
  • l’éclairage n’est-il pas trop sombre…?

Au final, nous aurons certes un “souvenir” du moment qu’on aura capturé, mais sa charge émotionnelle restera bien faible. Vous voyez que beaucoup des décisions créatives fondamentales d’une photo n’ont strictement rien à voir avec l’appareil lui-même.  On fait une “photo smartphone” comme on mange un plat cuisiné. Parce que l’on a faim ici et maintenant, rarement pour se faire un petit plaisir gastronomique.

Le smartphone, trop simple pour être sérieux ?

Dès que nous tenons un “vrai” appareil photo entre les mains, notre approche est généralement tout autre. Un bridge, un hybride ou un réflex ne tiennent pas facilement dans nos poches. Nous devons prendre activement la décision de faire des photos/vidéos pour emmener notre appareil photo. Mécaniquement, l’intention photographique est alors beaucoup plus forte. Même sans être un photographe accompli, tout le monde se sent plus investi sur sa prise de vue : “si j’ai un appareil photo en main, je me dois de faire des photos”.

Il y a alors de forte chance que l’on prenne de meilleures photos par rapport à son smartphone. Non pas parce que son “vrai” appareil photo serait techniquement meilleur, mais parce qu’on aura pris plus de soin à faire une photo. C’est encore plus vrai pour un appareil photo avec un viseur. Le simple fait de mettre son oeil au viseur vous isole de votre environnement. Vous êtes alors complètement absorbé par l’image que vous souhaitez prendre. Quand on cuisine, on met toujours un peu d’effort pour que cela sorte de l’ordinaire.

 

iPhone 5 vs. Nikon D800
iPhone 5 contre réflex numérique Nikon D800 : trop simple pour être sérieux ? © Amaury Descours

Pourtant, qu’est-ce qui nous empêche d’adopter la même démarche photographique avec un smartphone ? Tous nos réflexes “d’homo photographus” semblent partir en éclat dès que l’on a un smartphone entre les mains. Il demande tellement peu d’effort de par son poids, sa taille, et sa facilité à déclencher qu’on en oublie l’effort nécessaire pour faire une photo : on se contente de prendre une photo.

Le smartphone, ce Polaroid digital

Un bon appareil photo compact propose parfois d’ajuster les préréglages de contraste des tonalités ou de saturation des couleurs avant prise de vue. Les smartphones n’en proposent aucun. On retrouve alors des photos qui à la prise de vue sont souvent très (voire trop) contrastées et saturées. On reste dans un cadre de rendu standardisé d’une photo, exactement comme du temps des films argentiques. Chaque pellicule (Kodak Gold, Fujifilm Reala, …) avait sa signature visuelle en terme de rendu des couleurs et de contraste.

L’application mobile Instagram a popularisé l’usage des filtres photo. Ses traitements d’image prêts à l’emploi jouent sur les classiques contraste et saturation. Mais elles touchent surtout à l’équilibre des couleurs avec des dominantes colorées dans les tons sombres, clairs ou moyens.

 

Les filtres de l'application Instagram
Saint-Cirq-Lapopie, France. Appareil : Apple iPhone 5. Sans et avec un filtre Instagram  © Amaury Descours

Instagram participe à la résurgence des films argentiques. Le rendu et le format des Polaroïd sont particulièrement visés.

Mais que ce soit brut de prise de vue (rendu dicté par le fabricant) ou avec des applications grand public (comme Instagram), la photo produite reste dans des canons figés par d’autres. Comme avec les plats cuisinés industriels, nous avons certes du choix mais il est impossible de les reprendre à notre sauce.

Le smartphone,  un mutant photographique

En 2016, n’importe quel reflex numérique bat en qualité technique un smartphone au même prix. Que ce soit la résolution (mégapixels), les possibilités d’angle de vue (focale et zoom), la stabilisation optique, la sensibilité (ISO), la dynamique ou encore le flash, un smartphone standard ne propose guère plus qu’un compact de bas/milieu de gamme.

Mais depuis 5 ans au moins, les innovations des appareils photo même haut de gamme stagnent. Les mises à jour sont toutes sauf spectaculaires : les gains qualitatifs des photos produites restent imperceptibles, sauf peut-être pour la sensibilité en faible lumière.

Au contraire, chaque nouvelle année a permis aux smartphones de rattraper leur retard sur leurs grands frères. Avec les iPhone 7 Plus, Apple démontre brillamment que les smartphones vont s’accaparer de plus en plus les possibilités des “vrais” appareils photo. Les smartphones vont lorgner sur les bridges avec leur zoom et leur stabilisateur optique. Et ils s’en prendront aussi aux hybrides et réflex avec des portraits au beau flou d’arrière-plan et des sensibilités toujours plus élevées.

Certes, il reste des domaines de la photo créative qui sont vraiment déconseillés aux smartphones. Mais pour peu que l’on comprenne les limites d’angle de vue et de dynamique d’un smartphone, les possibilités créatives restent immenses. La tension entre les limites technologiques et la capacité créative n’a jamais empêché la photographie de prendre une place majeure. Les smartphones n’ont aucune raison de faire exception.

Mais le smartphone est vraiment remarquable avec sa position unique parmi nos outils. Il est le seul à couvrir tout le spectre du parcours créatif :

  • la prise de vue possible partout et tout le temps : pas d’excuse pour ne pas faire de photo
  • le traitement/développement/post-production avec toutes les possibilités d’un ordinateur avec la bonne application mobile
  • l’affichage sur un écran qui sera toujours plus grand que celui de la majorité de nos appareils photo
  • un format qui se prête à être passé de main en main comme un bon vieux tirage papier
  • le partage immédiat sur nos réseaux sociaux

Plus le flux créatif est rapide, riche et sans friction, plus cela permet d’être fidèle aux émotions originelles de la prise de vue.

Le smartphone, piano du futur ?

Le smartphone n’est pas un mauvais appareil photo en soi : il continue même à nous surprendre techniquement. Il a un potentiel créatif unique qui est souvent négligé et incompris. Il demande à être considéré comme tous les appareil photo avec une véritable intention photographique. Si le photographe est acteur de cette démarche, alors le smartphone pourra passer du statut de four à micro-ondes de la photographie à celui de véritable piano de cuisson ! Une photo réussie est toujours le résultat du photographe, pas de l’appareil photo.

 

Le smartphone, piano de cuisson de la photographie
© Amaury Descours

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(1) L’association CIPA regroupe l’ensemble des fabricants japonais d’appareils photo (Canon, Nikon, Panasonic, Ricoh/Pentax, Sony/Minolta, Olympus, Epson, etc.), soit l’immense majorité des appareils photos fabriqués dans le monde. Il ne manque “que” le coréen Samsung et les marques européennes beaucoup plus élitistes comme Leica ou Hasselblad.

Comments

  1. Merci pour cet article intéressant.
    Avec quel appareil puis-je prendre les jolis colibris de la terrasse d’HELFAROAN ?

    1. Merci Aude et content que cet article vous ait plu. J’évoquais justement des domaines de la photo difficilement accessibles pour un smartphone, et la photographie animalière en est un particulièrement ardu. Sauf à être en présence d’un animal totalement imperturbable se laissant approché au plus près et insensible à des séances de mitraillage sous toutes les coutures, il vous faut un appareil plus spécialisé qu’un smartphone.

      Un smartphone dans le cadre de la photo animalière a un vrai problème : il n’a qu’un objectif grand angle. Autrement dit, avec un smartphone vous ne pourrez pas avoir l’animal occupant tout le cadre de l’image sauf à avoir recours au zoom numérique. Mais le zoom numérique n’étant que le grossissement des pixels du capteur, cela dégradera très fortement la résolution/piquée de l’image. Autre solution plus ou moins onéreuse, vous pouvez potentiellement ajouter un optique complémentaire qui va se visser moyennant accessoire sur le smartphone, mais : 1) le facteur grossissant restera limité, 2) la qualité optique sera de correcte à moyenne.

      La solution la plus pertinente à mes yeux pour quelqu’un qui veut se lancer dans la photo animalière est d’avoir un “bridge” : un appareil de type compact avec un gros zoom intégré. On dispose alors d’un vrai zoom optique, d’une bonne voire excellente réactivité au déclenchement, une résolution souvent plus élevée que la majorité des smartphones. Dans les premiers prix en très bon rapport/qualité prix, on peut citer des modèles comme le Panasonic Lumix FZ200 (ou mieux encore le FZ300).

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